Pasquale Preziosa

Durant la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis, confrontés à la menace globale posée par le conflit, ont réussi en quelques années à mobiliser leurs capacités industrielles et technologiques à une échelle sans précédent. Cette mobilisation a non seulement apporté un soutien décisif aux Alliés, mais a également démontré l’extraordinaire capacité de l’Amérique à s’adapter à un monde en évolution rapide.

Aujourd’hui, l’Union européenne est confrontée à un défi similaire : dans un contexte international caractérisé par de profondes mutations, avec des menaces complexes et en évolution rapide, elle est appelée à se doter d’urgence d’une véritable autonomie stratégique. La nécessité de développer une capacité de défense autonome a été soulignée à plusieurs reprises par les États-Unis eux-mêmes, dans le cadre d’un réétalonnage des priorités mondiales qui exige que l’Europe assume une plus grande responsabilité pour sa propre sécurité.

Contrairement à la mobilisation industrielle traditionnelle, le théâtre d’opérations contemporain ne repose pas uniquement sur la production d’armements matériels, mais est profondément façonné par la domination des logiciels, des données et de l’intelligence artificielle. Les conflits futurs seront gagnés non seulement grâce à la supériorité numérique ou technologique traditionnelle, mais surtout grâce à la capacité de collecter, de traiter et d’utiliser des données en temps réel, surpassant les adversaires en rapidité, en précision de décision et en adaptabilité.

Dans ce scénario, pour parvenir à son autonomie stratégique, l’Union européenne doit moderniser d’urgence sa base industrielle de défense en investissant dans la « guerre définie par logiciel » (SDW). Il faut donner aux logiciels le rôle de principal catalyseur des capacités militaires, en améliorant l’interopérabilité intra-européenne, en augmentant la résilience technologique et en garantissant la possibilité de mettre à jour en permanence les systèmes dans un environnement d’innovation accélérée.

Cette transformation repose sur trois piliers : la gestion des données, l’adoption de logiciels commerciaux et l’investissement dans le capital humain.

La création de référentiels de données unifiés au niveau européen, combinée à des outils avancés d’intelligence artificielle et d’apprentissage automatique, est essentielle pour permettre une gestion efficace, sécurisée et dynamique des informations stratégiques. L’accessibilité et l’interopérabilité des données provenant de différents États membres, plateformes et systèmes de défense doivent être garanties dès le départ.

L’Union doit surmonter la fragmentation actuelle, caractérisée par des solutions nationales sur mesure, et s’orienter systématiquement vers l’intégration de logiciels commerciaux éprouvés. Cette approche permettra de réduire les coûts, de raccourcir les délais de mise en œuvre et de faciliter la mise à jour continue des capacités numériques, en tirant parti de l’innovation développée dans le secteur privé.

La transformation numérique de la défense européenne nécessite des investissements substantiels dans la formation de personnel technique hautement qualifié. Les programmes de partenariat entre les institutions militaires, les universités et les industries technologiques sont essentiels pour créer des filières de talents spécialisés. En outre, le recrutement ciblé d’ingénieurs logiciels et d’experts en IA doit devenir une priorité stratégique.

Parallèlement, l’autonomie stratégique européenne dans le domaine logiciel doit être développée en étroite coopération avec les Alliés, en privilégiant une interopérabilité totale et le co-développement de solutions partagées au sein de l’OTAN et d’autres partenariats euro-atlantiques. Seule une Europe capable d’agir de manière autonome, mais en synergie avec ses partenaires, sera en mesure de répondre efficacement aux menaces émergentes.

Les défis auxquels l’Union européenne est confrontée pour parvenir à une véritable autonomie stratégique sont complexes, mais les solutions sont à portée de main. Il est impératif de surmonter les modèles obsolètes, la fragmentation industrielle et l’inertie institutionnelle. La guerre « définie par logiciel » représente une voie concrète pour moderniser la défense européenne, la rendant agile, résiliente et à la hauteur des défis du 21e siècle.

Remodeler l’arsenal de la démocratie pour l’Europe numérique n’est pas seulement une option politique, mais une nécessité stratégique. Il est temps d’agir maintenant.

Pasquale Preziosa: ancien chef d'état-major AM, aujourd'hui expert du comité scientifique d'Eurispes et professeur d'université de géostratégie.

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